Comme
chaque année les lettres de l'alphabet se retrouvaient pour leur grande fête de
famille pour passer les jours de Noël ensemble.
Bildquelle: S. Hofschläger/pixelio |
Ces
retrouvailles étaient devenues traditionnelles et chacun s'efforçait donc de se
montrer dans son plus beau appareil à l'occasion. Pour cette année le président
avait invité dans un châlet en montagne.
Le
président, c'était "A". "A"
s'était fait élire au début de l'année. Selon lui, c'était la moindre des
choses que ce soit lui, la première lettre dans la liste des 26, qui préside au
groupe.
Beaucoup
d'entre eux avaient voulu voir "Z"
sur le poste. Ils estimaient le temps venu pour un air frais dans la
hierarchie... et qui avait-il là de mieux que de proposer la dernière lettre?
Mais "A" avait mené une
campagne impitoyable avec son équipe, les voyelles, et finalement fait la
course.
Depuis son
entrée en fonction "A", devenu depuis lors arrogant et avide
d'hommage dans toutes ses activités, avait mené le groupe de main dure. Son
comportement n'avait certainement pas contribué à sa popularité.
C'était
surtout "I" qui avait dû
souffrir sous le joug de ses injures et des ses outrages. Il n'était donc guère
surprenant que "I"
n'éprouve pas la moindre envie de participer à cette fête de famille. Bien
contraire il aurait tout donné pour pouvoir passer ce jour ailleurs.
Mais grâce
à la patience et la persuation de "P", mais surtout grâce aux encouragements de "E" et "Z", "I"
avait finalement donné son accord.
Mais son
malaise persistait ... car les animosités de "A" le touchaient beaucoup et souvent. Évidemment, il était
très maigrichon. Ayant peu de musculature il n'avait par conséquent guère la
force pour porter des charges lourdes, comme le faisaient aisément "D" et surtout "F" avec des bras comme des tentacules.
Mais ce qui le blessait avant tout, c'était le fait que pour la plupart du
temps personne ne le remarquait, avec
son apparition filigrane. Le point qu'il portait parfois au dessus de son
chapeau n'arrangeait rien non plus.
Mais
promis reste promis, et voilà donc que "I" s'était mis en route pour retrouver les autres, non sans
être rongé par de grands doutes de soi-même.
"A" avait fixé la place du marché comme
point de rencontre, au milieu d'un petit village pittoresque dans les Alpes
Suisses. C'est de là qu'ils voulaient entamer la longue et épuisante escalade
vers le châlet. Vu le temps nécessaire pour y arriver, il avait été convenu de
prendre rendez-vous dès midi.
"I" n'était pas le premier sur
place. La grosse "B" était
déjà là en compagnie de son mari "D",
non moins obèse. Leurs enfants "O"
et "Q", d'apparence plutôt
"peinture Rubens", se disputaient comme d'habitude pour des
bagatelles. Il est vrai que "O"
n'avait pas vraiment besoin d'une raison pour une dispute avec son frère, vu
son caractère lunatique.
Non loin
d'eux on pouvait voir "R",
un personnage très réservé, en train
de s'entretenir avec "M"
et "N", tous deux réputés
pour leur capacité harmonisante et fédératrice. "T" les rejoignait à l'instant, impressionnant avec ses larges
épaules qui faisaient bien honneur à son nom.
Peu à peu
le reste du groupe arrivait. Comme toujours la plupart ne prêtait même pas
attention à "I" qui s'était
retiré sous un arbre qui s'élançait vers le ciel au milieu de la place du
marché. En été il offrait sans doute une ombre agréable, mais maintenant en
hiver, il ne ressemblait qu'à une carcasse déplumée.
Comme on
pouvait s'y attendre "A" apparut
en dernier, juste à temps à l'heure convenue. Il va de soi qu'il était tout-á-fait
conscient de l'effet qu'il provoquait par son apparition. Il ressemblait à un
paon dans son accoutrement multicolore, du dernier cri naturellement. "E", avec son allure hautaine, le
suivait dans des habits qui ne se faisaient guère moins remarqués.
Un externe
aurait rapidement noté les préférences des participants pour l'un ou l'autre,
car tout de suite certains se rassemblaient autour de "A" et collaient à ses oreilles, à
l'écoute des propos qu'il proclamait à haute voix, afin que vraiment tout le
monde puisse l'entendre. D' autres lui tournaient le dos, en secouant la tête au
vu son comportement.
Malgré
tout l'humeur était bonne, ce qui était dû pour une bonne part au soleil
rayonnant qui plongeait la place dans une lumière agréable.
Après
avoir reçu de "A" quelques
directives, destinées à souligner une fois de plus sa suprématie, le groupe
commença son escalade, se réjouissant de fêter Noël ensemble. Et bientôt le calme fit
place à un agréable concert de voix. Juste "I" restait en arrière, seul et silencieux, et les suivait à
quelque distance.
Toujours
est-il qu'après peu de temps ils devinrent de plus en plus silencieux, et les
murmures firent place aux soufflements de leur respiration intense, témoignant
de l'effort qu'ils devaient fournir au fur et à mesure que le chemin devenait
escarpé. C'étaient surtout la grosse "B"
et sa famille qui maintenant payaient le prix pour leur obésité.
Vers 15
heures - ils avaient maintenant parcouru environ la moitié du trajet - le
soleil disparut dernière la crête des montagnes. La température baissa aussitôt
et, malgré leur effort physique, le froid prit peu à peu possesion d'eux.
Partiellement on pouvait maintenant entendre des plaintes et des jurons à cause
du temps déjà écoulé et d'une randonnée qui semblait ne plus vouloir prendre
fin. Certains laissaient même voie libre à leur morosité et avaient trouvé dans
"A" une cible appropriée
pour leur frustration.
Ce dernier
s'efforçait certes de calmer les esprits, mais il devait lui aussi lutter pour
tenir le coup.
Le seul à
marcher d'un pas alerte, c'était "I".
Lui, il avait envie de chanter ou de siffler une mélodie, mais au vu du malaise
des autres, il préfèrait de se retenir. Comme bien souvent il ne voulait
surtout pas se faire remarquer et attirer la colère des autres sur lui.
Mais,
lorsqu'après une autre demi-heure de marche, le ciel se couvrit brusquement et
que le temps changea endéans quelques minutes, comme c'était souvent le cas en
montagne, la nervosité et la crainte prirent également possession de "I".
Il
commença bientôt à neiger et le ciel s'assombrit encore plus, de plus en plus
menaçant. Un vent glacial soufflait et les gros flocons de neige harcelaient
leurs visages, semblables à des milliers d'aiguilles. Les premiers commencèrent
déjà à pleurer à peine quelques minutes écoulées et leur situation devint de
plus en plus précaire.
Tous
criaient que "A" fasse
quelque chose pour les tirer du pétrin, afin qu'ils atteignent le châlet sains
et saufs. Mais "A" aussi
était devenu très silencieux; bien au contraire, il s'était blotti derrière un
rocher qui se trouvait le long du chemin. Il tremblait et sanglotait, tout en
fixant un objet que lui seul semblait voir. Lorsque finalement les premières
lettres glissèrent et tombèrent, et que la grosse "B" se blessa grièvement, la panique était complète.
Le seul à
garder son sang froid dans ce chaos c'était "I". Il prit rapidement les initiatives. Il appella "M" et "N" qui se connectèrent rapidement pour former un brancard. Il
demanda à "T" d'y hisser
"B" et ordonna à "S" et "Z" de déblayer le chemin avec leurs membres en forme de patin,
afin de faciliter le transport.
Les
lettres reprirent rapidement courage sous la conduite courageuse de "I", et elles se regroupèrent
autour de lui. Même ceux qui jusqu'alors avaient préféré la compagnie de "A" le suivèrent volontairement,
comme des mites autour d'une lampe, ne voyaient-ils pas en "I" celui qui leur assurerait
l'assurance et la sécurité dont ils avaient besoin en ce moment.
Dès qu'il
remarqua que la situation s'était calmée "I" confia la conduite du groupe à "Z" et décida de
se mettre tout seul en route vers le châlet pour de procurer de l'aide.
Grâce à
son apparence filigrane il n'offrait guère de résistance au vent. Il
progressait donc très rapidement et atteint le but sous peu. Le secours fut
vite organisé et après à peine une heure, ils se retrouvèrent ainsi tous à
l'abri, se réchauffant autour d'un feu ouvert, comme s'il ne s'était rien
passé.
Comme s'il
ne s'était rien passé?
En fait,
si on les regardait tous, tapis autour du feu, les joues roses, à nouveau
joyeux et riants, on aurait pu avoir cette impression.
Toutefois
il s'était passé quelque chose pour l'un d'entre eux. Pour lui quelque chose
avait changé...
Car "I", dont jusqu'à présent personne
n'avait tenu compte, était maintenant devenu leur héros, leur sauveteur... Ils
vinrent tous pour lui taper sur l'épaule. l'embrasser et lui faire des
calins...
Ils
fêtèrent ainsi jusqu'au petit matin...
Et la
morale de l'histoire?
Ne
sous-estime jamais les capacités, ni d'autrui, ni les tiennes. Ne te laisse pas
arrêter par des doutes. Accepte le fait que tu sois différent comme une
particularité, un don, qui quelque part et à moment donné sera précisément
celui dont on aura besoin.
Être différent, ce n'est pas faux, c'est juste ... être
différent!
Dans cet
esprit je vous souhaite à tous...
Joyeux
Noël!
André
Leyens
Bildquelle: Gänseblümchen/pixelio |